« Jouer dans l’Arkansas, c’était comme jouer à domicile » – Lloyd Owers, sélectionneur des Îles Marshall

Historique. La sélection nationale des Îles Marshall a disputé ses deux tout premiers matchs internationaux face aux Îles Vierges américaines et aux Îles Turks-et-Caïcos. Son sélectionneur et directeur technique, Lloyd Owers, revient sur ce moment fondateur et décrypte ce projet qu’il porte depuis trois ans et qui dépasse le cadre sportif : offrir à ce petit archipel menacé d’Océanie une visibilité internationale grâce au football.

Le 15 août 2025, un petit État oublié des cartes s’est soudain retrouvé sous les projecteurs grâce au football : pour la toute première fois, les Îles Marshall ont disputé un match international face à une sélection nationale membre de la FIFA  (les Îles Vierges américaines), à Springdale dans l’Arkansas.

Malgré une défaite cinglante (4-0), cette date marque la fin de leur statut de dernier pays sur Terre sans équipe de football. Le lendemain, les Marshallais ont offert une prestation plus convaincante encore, inscrivant leurs deux premiers buts lors d’une défaite 3-2 face aux Îles Turks-et-Caïcos, 206e nation au classement FIFA.

Ces performances revêtent une portée bien plus que sportive dès lors qu’on s’intéresse au contexte politique et géographique des Îles Marshall. Cet État insulaire du Pacifique, peuplé d’à peine 42 000 habitants répartis sur 29 atolls et 5 îles, est en quête de reconnaissance.

Tour à tour placé sous tutelle américaine, doté d’une autonomie progressive puis devenu un État indépendant et  admis à l’ONU en 1991, l’archipel vit encore sous l’influence directe des États-Unis à travers le Compact of Free Association, qui lui garantit aide financière et protection militaire. Mais c’est surtout son existence même qui est menacée : avec une altitude moyenne de deux mètres au-dessus du niveau de la mer, les Marshall font partie des nations les plus exposées aux effets du réchauffement climatique.

Dans ce contexte géopolitique aussi particulier qu’alarmant, le développement du football dépasse le simple cadre du sport. De par son impact médiatique mondial, il devient un outil de visibilité internationale. La reconnaissance par une organisation sportive internationale comme la FIFA n’est pas anodine. Avec 211 fédérations membres, elle compte plus de membres que l’ONU, car son rôle ne se limite pas aux seuls États souverains.

Pour certaines régions, le sport devient un outil politique : les Îles Féroé, encore sous souveraineté danoise, utilisent leur sélection nationale pour affirmer leur autonomie ; le Kosovo et la Palestine ont vu dans leur adhésion une façon de légitimer leur indépendance ou leur existence contestée sur la scène internationale. Aujourd’hui, d’autres territoires comme le Groenland frappent à la porte de la FIFA pour obtenir à leur tour cette reconnaissance. 

Dans ce contexte, la quête des Îles Marshall pour rejoindre la communauté du football mondial dépasse le symbole sportif.

À la tête de ce projet inédit depuis décembre 2022, le Britannique Lloyd Owers, formé en Angleterre, en Amérique du Nord et en Scandinavie, assume aujourd’hui les fonctions de sélectionneur, d’entraîneur et directeur technique de cette équipe naissante et du développement du ballon rond dans ce petit archipel menacéed’Oceanie.

Deux ans après notre premier entretien, il revient sur ce moment historique, les progrès accomplis et les défis à venir dans la quête d’une reconnaissance officielle par l’OFC (Oceania Football Confederation) et la FIFA — une légitimité sportive qui porterait aussi en elle la voix et la reconnaissance internationale d’un pays menacé de disparition.

>> L’interview <<

Lloyd, en tant que porteur de ce projet inédit pour les Îles Marshall, quel regard portez-vous sur les performances de votre équipe lors de ce tout premier match international malgré la défaite ?

Pour être honnête, nous ne considérons pas du tout ce premier match comme une véritable défaite. Une défaite, ç’aurait été ce que tout le monde attendait, et cela aurait pu facilement finir à 10, 11 ou 12 buts d’écart. Quand on prend en compte le fait que la moitié de notre équipe n’avait jamais joué un match à 11 contre 11 auparavant, nous aurions signé sans hésiter pour un 4-0 avant la rencontre !

À la mi-temps, menés 2-0, nous étions un peu déçus. Puis, dès la reprise, nous touchons le poteau dans la première minute… si ce ballon rentre, le match peut complètement basculer. Mais avec la pression de ce tout premier rendez-vous et toute l’attente qui l’entourait, nous avons commencé à fatiguer, à être nerveux. Avec les rotations en fin de match, le score a gonflé à 4-0. Malgré tout, nous étions très satisfaits de ce premier test.

Une expérience qui vous a servi pour le second match contre une autre nation membre de la FIFA, les Îles Turks-et-Caïcos ?

Dans le deuxième match, une fois que nous avons réussi à marquer, c’était une toute autre histoire. Notre seul objectif était de mettre un but et d’être plus compétitifs, et nous avons prouvé que nous en étions capables. Ils ont inscrit trois buts de la même manière, mais une fois que nous avons corrigé cela, ils n’ont plus eu d’occasions.

Nous avons marqué deux fois, nous aurions dû obtenir un penalty dans la dernière minute et raté une grosse occasion à la fin. Perdre 3-2 contre une nation FIFA est incroyable pour nous. Cela nous a donné une énorme confiance pour le prochain rassemblement et les futures opportunités. Désormais, nous savons que nous avons une base sur laquelle construire : nous n’avons plus à craindre le score, nous pouvons jouer et espérer obtenir quelque chose.

« Faire ce match dans l’Arkansas, on avait presque l’impression de jouer à domicile« 

Comment avez-vous réussi à organiser ces rencontres face à des nation membre de la FIFA et à la jouer aux États-Unis ? Quelles ont été les principales contraintes logistiques ?

Au cours des deux dernières années, j’ai eu la chance de nouer de très bonnes relations avec d’autres fédérations, notamment avec leurs directeurs techniques. Les Îles Vierges américaines comme les Turks-et-Caïcos ont montré un réel enthousiasme pour nous soutenir et nous donner cette opportunité, et c’était évidemment capital pour nous : sans elles, nous n’aurions pas pu organiser ce tout premier match.

Le fait de jouer aux États-Unis, contre une nation associée aux États-Unis, représentait une opportunité unique. Et le fait de le faire à l’Arkansas, où il existe une très grande communauté marshallaise, a rendu l’expérience encore plus incroyable : honnêtement, on avait presque l’impression de jouer à domicile.

Sur le plan logistique, la principale difficulté reste bien sûr financière. C’est toujours notre plus grand défi. Nous ne recevons pas de financement régulier, il nous faut donc lever nous-mêmes les fonds nécessaires. Et en tant que pays hôte, nous devons aussi prendre en charge l’hébergement, le transport et la nourriture des autres délégations. C’est une tâche lourde et compliquée, et notre principale contrainte aujourd’hui.

Comment avez-vous composé cette première sélection ? Les joueurs viennent-ils surtout des Îles Marshall ou de la diaspora, notamment installée aux États-Unis ?

Cet été, l’équipe était un mélange de joueurs venus de Majuro, de Kwajalein et des États-Unis. Nous avions certains joueurs d’origine marshallaise vivant aux États-Unis, d’autres venant de Kwajalein, qui est une île des Îles Marshall mais où se trouve une base militaire américaine. Certains étaient donc Marshallais, d’autres d’ascendance américaine mais ayant vécu longtemps dans l’archipel. Enfin, le reste de l’effectif venait de Majuro, la principale ville et capitale des îles Marshall.

« Le manque de terrains complique la tâche. Le sport dominant aux Îles Marshall étant le basket, nous profitions de ces infrastructures pour développer le futsal. »

Compte tenu de l’immensité du territoire des Îles Marshall, comment faites-vous pour développer le football là-bas ? On pense notamment aux infrastructures dans un pays soumis à de fortes contraintes climatiques.

Aujourd’hui, nous avons du football organisé sur les trois principales îles : Majuro, Kwajalein et Ebeye. Amener ce sport sur les îles extérieures reste une tâche très compliquée, d’abord à cause des contraintes financières, mais aussi parce que certaines de ces communautés sont très peu peuplées. C’est un objectif que nous aimerions atteindre à long terme, mais pour l’instant la priorité est de consolider ce que nous avons déjà sur les trois îles principales.

Vous avez également lancé des programmes de futsal pour les jeunes et les femmes. Quelle place occupe le futsal dans votre stratégie globale de développement du football ?

Le futsal joue un rôle absolument central dans notre stratégie. Quand j’ai pris mes fonctions, j’ai vite compris que le manque de terrains allait rendre difficile la pratique du football à 11. La situation est un peu meilleure aujourd’hui, car nous pouvons utiliser le stade national, mais au départ j’ai constaté que le sport dominant ici était le basket-ball, avec des terrains partout. Nous avons donc profité de ces infrastructures pour développer le futsal.

Notre idée est claire : si nous parvenons à former techniquement les joueurs grâce au futsal, ils s’adapteront beaucoup plus facilement au football à 11 par la suite. Le futsal est donc au cœur de notre stratégie de développement. Nous organisons déjà des compétitions et nous allons continuer, avec à terme l’ambition de structurer une véritable ligue.

« Le maillot ‘No-Home Jersey’ a déclenché un vrai engouement international — mais nous avons besoin de partenariats durables pour aller plus loin. »

Votre fédération s’appuie aujourd’hui sur les dons et la vente de produits dérivés – notamment le « No-Home Jersey ». Comment travaillez-vous à mettre en place des partenariats avec des sponsors ou des institutions afin d’assurer l’avenir du projet sur le long terme ?

Le sponsoring et les partenariats institutionnels sont des axes sur lesquels nous travaillons en permanence. Nous faisons un gros effort pour convaincre des partenaires, mais le problème, c’est que beaucoup attendent un retour financier concret. Et pour l’instant, nous n’avons pas encore cette capacité-là : sans financement régulier, nous ne pouvons pas organiser autant d’activités que nous le souhaiterions.

Le maillot « No-Home Jersey », très symbolique, a permis de susciter un bel engouement international — tout en sensibilisant au changement climatique —, mais cela reste ponctuel. Nous avons de grandes ambitions, mais il nous faut des moyens pour les réaliser. Le sponsoring devient donc crucial : à nous de continuer à développer ce que nous faisons, à rester visibles, actifs, et pertinents. Avec le temps, nous espérons que des sponsors plus solides viendront nous accompagner.

Du côté des institutions internationales, notre objectif est clair : rejoindre une confédération, puis, à terme, la FIFA. Nous essayons de prouver que nous pouvons être compétitifs, que nous avançons malgré des moyens très limités — souvent uniquement grâce aux dons ou aux recettes du merchandising. Ce travail de fond, discret mais constant, est ce que nous espérons voir reconnu, pour finir par accéder à une intégration officielle.

« Nous avons officiellement déposé une candidature auprès de l’OFC, de la CONCACAF et de l’AFC, afin de garder toutes les portes ouvertes. »

Où en êtes-vous d’ailleurs dans vos démarches pour rejoindre la confédération d’Océanie du football – 1ère étape avant la FIFA ? Avez-vous eu des contacts avec d’autres fédérations de la région, comme la Micronésie ou Palau ?

Nous avons officiellement déposé une candidature auprès de l’OFC, de la CONCACAF et de l’AFC, afin de garder toutes les portes ouvertes. Pour l’instant, nous n’avons pas vraiment eu de retour de l’OFC, mais la CONCACAF et l’AFC ont au moins accusé réception de notre dossier. Nous espérons que ces premiers matchs vont donner plus de visibilité à notre projet et qu’il ne s’agit plus que d’une question de temps avant d’être acceptés — au moins pour ouvrir des discussions avec ces confédérations et avancer concrètement dans nos démarches.

Nous remplissons déjà tous les critères pour devenir membre affilié, et la plupart de ceux nécessaires pour être membre à part entière. Nous espérons donc que ce n’est plus qu’une formalité à accomplir à court terme.

Concernant les autres fédérations régionales, oui, il y a eu quelques contacts, mais nous ne les voyons pas comme une véritable concurrence. Ce que nous développons est bien plus solide que ce qui existe ailleurs dans la région. Notre ambition est claire : nous confronter directement à des nations membres de la FIFA.

« Notre priorité reste d’affronter des sélections membres de la FIFA. »

Et quels sont désormais vos objectifs immédiats : multiplier les matchs amicaux, participer à des tournois régionaux ou viser une première participation aux éliminatoires d’une confédération ?

Notre stratégie repose sur cette idée : nous voulons bâtir notre projet en affrontant des nations établies, parce que c’est à ce niveau que nous voulons exister. C’est pour cette raison que nous avons préféré jouer contre une nation FIFA, plutôt que d’opter pour des rencontres locales plus faciles à organiser.

Bien sûr, si l’occasion se présente, nous jouerons aussi des amicaux contre des équipes voisines. À court terme, notre objectif est simple : continuer à jouer des matchs, viser des rencontres plus compétitives et nous préparer, dès que possible, à participer aux qualifications confédérales. Notre priorité reste d’affronter des sélections nationales membres de la FIFA.

Interview réalisée par Kévin Veyssière

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