Cristiano Ronaldo à la Maison-Blanche, tout sourire aux côtés de Donald Trump. Une scène hautement symbolique – et loin d’être anodine. Derrière les honneurs, les clips viraux et les sourires, cette rencontre s’inscrit dans une stratégie d’image savamment orchestrée. Pour l’Arabie saoudite, qui instrumentalise le sport pour peser diplomatiquement. Pour Trump, qui veut séduire la planète foot avant la Coupe du monde 2026. Et pour Ronaldo lui-même, désormais ambassadeur global plus politique qu’il n’y paraît. Plongée dans les coulisses d’une opération de soft power à trois bandes.
Des footballeurs devenus les plus grands influenceurs mondiaux
Cristiano Ronaldo reçu à la Maison Blanche par Donald Trump comme un chef d’Etat ? Si les images peuvent interroger, il faut avant tout comprendre le poids de CR7 tant médiatique que politique. Cristiano Ronaldo n’est pas seulement un footballeur d’exception, c’est aussi une icône planétaire dont l’influence dépasse largement le terrain. Avec près de 600 millions d’abonnés sur Instagram et plus d’un milliard au total sur les réseaux sociaux, il est l’individu le plus suivi au monde, surpassant toutes les stars du cinéma ou de la musique[3][4]. Sa portée est telle qu’un simple post de Ronaldo peut toucher davantage de personnes que n’importe quel communiqué d’un chef d’État. D’ailleurs, il figure chaque année au sommet des classements d’influenceurs les mieux rémunérés, pouvant gagner plus de 3 millions de dollars par publication sponsorisée[3].

Cette aura sans précédent confère aux footballeurs – et à Ronaldo en particulier – un pouvoir d’influence dont les dirigeants politiques sont pleinement conscients. En 2025, alors que sa carrière sportive touche à sa fin, l’attaquant portugais incarne un outil de communication idéal pour qui cherche à améliorer son image ou toucher un large public jeune et international. Il n’est donc pas anodin que Donald Trump, en pleine campagne de séduction de l’électorat et de la planète football, ait tenu à s’afficher avec « CR7 ». À l’ère des réseaux sociaux, un cliché aux côtés de Ronaldo vaut de l’or en termes de visibilité – un fait dont Trump, rompu à l’art de la mise en scène médiatique, est parfaitement conscient.
Ronaldo, porte-drapeau du soft power saoudien sous MBS
Si Cristiano Ronaldo s’est retrouvé convié ce 18 novembre 2025 à Washington, c’est avant tout en tant que membre de la délégation d’Arabie saoudite venue rencontrer le président américain. Depuis qu’il a rejoint le club saoudien d’Al-Nassr début 2023, le quintuple Ballon d’Or est devenu un ambassadeur officieux du royaume de Mohammed ben Salmane (MBS). Son contrat pharaonique (estimé à 200 millions de dollars par an) s’accompagne d’obligations extra-sportives : Ronaldo est le visage de la Saudi Pro League et participe activement à la promotion du pays, apparaissant par exemple dans des campagnes de l’Office de Tourisme saoudien[5]. Il va jusqu’à appeler le prince héritier « notre patron [en Arabie saoudite] » dans ses interviews[6].
Ce rôle de « porte-drapeau » s’inscrit dans la stratégie de soft power sportif déployée par MBS. Depuis quelques années, l’Arabie saoudite investit massivement dans le sport pour redorer son image internationale ternie par les affaires (comme le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi en 2018) et diversifier son économie au-delà du pétrole (Vision 2030). Le royaume a ainsi attiré à prix d’or d’autres stars du football (Benzema, Neymar…), organisé des combats de boxe, un Grand Prix de Formule 1 à Djeddah, racheté le club anglais de Newcastle United via son fonds souverain, sans oublier l’obtention de la Coupe d’Asie 2027 et la candidature victorieuse à la Coupe du monde 2034[7]. Ces initiatives relèvent de ce que l’on appelle désormais le « sportswashing » : utiliser le prestige du sport pour détourner l’attention des violations des droits de l’homme et façonner une image de marque positive du pays[8]. « Si le fait d’investir dans le sport peut augmenter notre PIB de 1 %, alors je continuerai », aurait même assumé MBS, conscient du bénéfice économique et politique de ces opérations de communication[9].
Dans ce contexte, la présence de Ronaldo à la Maison-Blanche aux côtés de MBS est hautement symbolique. Pour le prince saoudien, exhiber la superstar du foot au bras de la délégation revient à légitimer son régime par association. CR7 apporte une caution populaire et glamour à une visite diplomatique délicate (il s’agissait du premier voyage de MBS aux États-Unis depuis l’affaire Khashoggi[10]). Aux yeux du monde, voir l’un des athlètes les plus admirés s’afficher avec le dirigeant saoudien contribue à normaliser ce dernier sur la scène internationale. Comme le résume un commentateur portugais, Ronaldo est devenu « l’égérie (pour ne pas dire la marionnette) du soft power saoudien », prêtant son image à une monarchie qui mise sur le football pour faire oublier ses abus[11].
Trump, Ronaldo et la Coupe du monde 2026 : une alliance d’image calculée
Du point de vue de Donald Trump, recevoir Ronaldo était tout aussi stratégique. Le président américain (élu sous le slogan “America First”) a longtemps été distant vis-à-vis du « soccer », un sport qu’une partie de sa base électorale juge peu américain. Mais à l’aube de la Coupe du monde 2026 que les États-Unis co-organiseront, Trump opère un rapprochement opportun avec le ballon rond. Non seulement il a étroitement associé sa présidence à cet événement sportif – allant jusqu’à exposer en permanence un trophée doré de la FIFA dans le Bureau ovale[12] – mais il multiplie les gestes pour montrer son soutien au football. En juillet 2025, il s’est ainsi immiscé dans la cérémonie de remise du trophée de la Coupe du monde des clubs à l’équipe de Chelsea, s’arrangeant pour conserver une copie du trophée dans le Bureau ovale une fois le tournoi terminé[13][14]. « C’est le sport le plus international, il peut vraiment rassembler le monde », a-t-il déclaré alors, se posant en rassembleur par le biais du football[15].
Inviter Cristiano Ronaldo à la Maison-Blanche s’inscrit dans cette démarche d’instrumentalisation du sport à des fins politiques. Trump y a vu un double avantage : améliorer son image auprès des millions de fans de foot (y compris les communautés latino et européenne aux États-Unis) et apparaître comme un hôte accueillant en vue du Mondial. Lors du dîner officiel en l’honneur de MBS, il n’a pas manqué de remercier chaleureusement Ronaldo pour sa venue, soulignant que son fils Barron, 19 ans, était un « grand fan » de la star et tout heureux de le rencontrer[16]. Trump a lancé avec humour : « Je pense que désormais, mon fils respecte un peu plus son père, juste parce que je lui ai présenté Ronaldo »[17]. La scène, calculée pour être reprise médiatiquement, présente un Trump bon père de famille et admirateur de champions, bien loin de son image clivante.
Surtout, l’ex-magnat de la télé-réalité a su exploiter cette rencontre au maximum sur les réseaux sociaux. Quelques heures après le dîner, à l’aube, il a publié sur sa plateforme Truth Social une vidéo virale et insolite, générée par IA, le montrant en train de jouer au football dans le Bureau ovale avec Ronaldo[18]. Dans ce clip surréaliste, intitulé « TWO GOATS, CR7 x 45/47 » (les deux “plus grands de tous les temps”, CR7 et le 45e/47e président), on voit Trump et Ronaldo échanger des jongles sous le célèbre lustre, puis Trump exécuter une pirouette improbable avant de tirer le ballon en direction de la caméra, brisant virtuellement l’écran[19][20]. Cette mise en scène, mélange d’autodérision et de promotion, a fait le tour du web. Elle illustre comment Trump entend associer son nom à celui de Ronaldo pour bénéficier de son capital de sympathie, tout en se positionnant comme un acteur central de la Coupe du monde à venir. Le lendemain, le compte officiel de la Maison-Blanche relayait une photo des deux hommes marchant côte à côte légendée « TWO GOATS », preuve que la communication présidentielle elle-même s’est emparée de l’événement[21].
Un Ronaldo en mission, entre obligations contractuelles et calculs d’avenir
Pour Cristiano Ronaldo, pourquoi accepter de s’afficher ainsi avec un responsable politique aussi controversé que Donald Trump ? La question agite les fans et les observateurs, d’autant que le Portugais avait jusqu’ici soigneusement évité de prendre parti publiquement. Plusieurs facteurs peuvent expliquer son choix. D’abord, des obligations contractuelles non dites : faisant partie de la “délégation” saoudienne, Ronaldo n’avait sans doute guère le loisir de décliner l’invitation de MBS à l’accompagner à Washington. Son employeur – le fonds souverain saoudien propriétaire d’Al-Nassr – pouvait difficilement rêver meilleure vitrine que son joueur vedette aux côtés du président des États-Unis. À ce titre, CR7 a joué son rôle d’ambassadeur jusqu’au bout, participant au dîner d’État et posant en costume noir impeccable dans le Bureau ovale où Trump lui a même remis en privé la clé symbolique de la Maison-Blanche[22]. Ce prestigieux cadeau, consistant en une clé dorée gravée du sceau présidentiel, est un honneur que Trump réserve à ses invités de marque : avant Ronaldo, seuls Elon Musk et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avaient eu droit à cet objet protocolaire conçu sous son mandat[23]. Ronaldo a accepté avec le sourire, conscient de la portée médiatique de ce moment.
Ensuite, une admiration « personnelle » pour Trump semble entrer en ligne de compte. Quelques jours avant la rencontre, Cristiano Ronaldo confiait au journaliste Piers Morgan que Donald Trump faisait partie « des personnes qui peuvent aider à changer le monde », ajoutant : « C’est quelqu’un que j’aimerais beaucoup rencontrer »[24][25]. Le Portugais, qui aime l’image de “self-made-man” milliardaire véhiculée par Trump, n’a jamais caché son respect pour ceux qui « font bouger les choses ». Il a d’ailleurs plaisanté en affirmant que « dans le monde, personne n’est plus célèbre que [lui] » – pas même Trump – tout en affichant une réelle fierté à l’idée de discuter avec le président américain[26]. Pour Ronaldo, âgé de 40 ans, cette visite était peut-être aussi l’occasion de préparer l’après-carrière. En se rapprochant de personnalités politiques de premier plan, il peut envisager de futurs rôles d’émissaire ou d’ambassadeur, que ce soit pour promouvoir la candidature de l’Arabie saoudite à une autre Coupe du monde ou pour représenter des causes philanthropiques qu’il affectionne. Son message posté sur Instagram après la rencontre, où il se dit « prêt à faire [sa] part pour inspirer les nouvelles générations à bâtir un futur de courage, de responsabilité et de paix durable », suggère d’ailleurs une volonté de soigner son héritage en dehors des terrains[27].
Enfin, on peut y voir une simple quête de prestige et de visibilité supplémentaire. Ronaldo est habitué aux honneurs sportifs, mais recevoir un traitement digne d’un chef d’État à la Maison-Blanche ajoute une ligne dorée à son palmarès hors-football. Tout sourire aux côtés de Trump, accompagné de sa fiancée Georgina Rodríguez en robe de gala dans les salons officiels, il a savouré ces instants rares. Publier un selfie viral en compagnie d’Elon Musk et Gianni Infantino lors du dîner, ou une vidéo de sa promenade avec le président américain, lui permet de rester au centre de l’attention mondiale alors même que son aventure sportive touche à sa fin[28][21]. À l’image d’un Pelé ou d’un David Beckham en leur temps, Ronaldo semble dessiner un futur où sa renommée planétaire pourra servir des causes diplomatiques ou commerciales, et où fréquenter les puissants de ce monde fait partie intégrante de son statut.
Une opération de communication gagnant-gagnant, malgré les critiques
En s’affichant ensemble, Donald Trump, Mohammed ben Salmane et Cristiano Ronaldo ont chacun atteint leurs objectifs immédiats. Le président américain s’est donné une image plus « cool » et universelle en côtoyant la star du foot, anticipant l’engouement pour le Mondial 2026 sur le sol américain[12]. Le prince saoudien a bénéficié d’un coup de projecteur positif, faisant oublier l’espace d’un instant les controverses politiques derrière les paillettes du dîner d’État. Et Ronaldo a renforcé son statut de méga-influenceur qui transcende le sport, reçu comme un chef d’État et impliqué dans un message de paix planétaire[27].
Pour autant, l’initiative n’a pas été unanimement saluée. Nombre de fans et de commentateurs ont exprimé leur malaise en voyant l’idole sportive se prêter à cette opération politique. « J’ai toujours admiré l’homme autant que le joueur… mais de quelles valeurs parle-t-on ici, à part l’argent ? C’est son droit. Et j’ai aussi le droit d’être déçu », a tweeté un journaliste lusophone désemparé[11]. Sur les réseaux, certains rappellent que Trump reste un personnage clivant (politique anti-immigration, soutien inconditionnel à Israël malgré la guerre à Gaza), indigne d’être adoubé par un Ronaldo qui fut jadis porté en héros par de jeunes admirateurs du monde entier. « Il pourrait s’afficher avec Hitler que vous lui trouveriez encore des excuses », s’indigne un supporter écoeuré[11], tandis qu’un autre parle de « la plus grande chute de l’histoire » en évoquant le parcours de CR7, passé selon lui de légende du foot à « agent de propagande pour le régime saoudien ». Le débat fait rage entre ceux qui considèrent que Ronaldo, en homme libre, peut rencontrer qui il souhaite – fut-ce un Trump – et ceux qui estiment que ces choix entachent son héritage sportif et moral.
Quoi qu’on en pense, cette rencontre au sommet illustre l’imbrication croissante du sport, de la politique et de la communication internationale. À l’ère du football globalisé et des réseaux sociaux, les champions deviennent des ambassadeurs officieux pour des États en quête de prestige, et les hommes d’État courtisent les stars du ballon rond pour profiter de leur popularité. L’image de Cristiano Ronaldo serrant la main de Donald Trump à la Maison-Blanche restera comme le symbole d’une époque où le soft power se joue aussi en crampons, et où chacun – joueur, président ou prince – y trouve son compte, quitte à brouiller la frontière entre le jeu et la géopolitique.
Sources : Al Jazeera[6][24]; Associated Press[29][7]; The Independent[18][19]; The Portugal News[23][30]; Reuters[3][31]; LSE UPR[8][9]; The Guardian[13][15]; NDTV[27]; Les Nouvelles du Foot[11]
[1] [7] [10] [12] [16] [17] [29] Soccer superstar Ronaldo joins Saudi crown prince during a White House visit | AP News
[2] [18] [19] [20] [21] [25] [26] Trump’s latest bizarre AI video shows him playing soccer with Cristiano Ronaldo in the Oval Office | The Independent
[3] [31] Ronaldo streets ahead of Instagram influencers in annual ranking | Reuters
[4] The Top 10 Social Media Influencers of All Time According to AI | TIME
[5] [6] [24] Ronaldo attends Trump’s White House dinner with MBS – all to know | Football News | Al Jazeera
[8] [9] The Saudi Pro League: A Failed Experiment in Sportswashing? – LSE Undergraduate Political Review
[11] Portugal Foot – Actu Championnat Mercato Sélection en Direct
[13] [14] [15] Trump says Club World Cup trophy will remain in Oval Office after tournament’s end | Club World Cup 2025 | The Guardian
[22] [23] [30] La visite de Ronaldo à la Maison Blanche divise l’opinion publique – The Portugal News
[27] [28] Ronaldo Thanks Trump For White House Invitation, Clicks Viral Selfie With Musk, Infantino