Le 5 décembre, le tirage au sort de la Coupe du monde 2026 n’a pas seulement lancé la compétition. Il a mis en scène l’alignement spectaculaire entre la FIFA et la présidence Trump, incarné par un « Prix de la Paix » inédit remis par Gianni Infantino. Ce geste symbolique cristallise une politisation assumée du tournoi : entre restrictions de visas, instrumentalisation nationale et alliances stratégiques, le football mondial entre dans une nouvelle ère où l’image du pays hôte prime sur l’universalité du sport.
L’implication de Donald Trump dans l’organisation de la Coupe du Monde 2026 n’est pas nouvelle. Déjà en 2018, lorsqu’il congratulait le succès de la candidature commune USA-Canada-Mexique, il proclamait que « l’U.S., avec le Canada et le Mexique, vient d’obtenir la Coupe du Monde ». Son intérêt pour l’événement restait manifeste même si ses positions sur l’immigration avaient provoqué des critiques à l’époque. Après sa réélection en 2024, Trump a intensifié son emprise sur le Mondial. En mars 2025, il a signé un décret établissant un « Task Force » de la Maison Blanche pour la Coupe du Monde 2026, dont il se désignait lui-même président. Cette structure fédérale visait officiellement à coordonner les préparatifs, traduisant son engagement direct dans l’organisation, alors que tout était déjà en place.

La logistique même du tirage au sort a été reconfigurée selon sa volonté. L’annonce le 22 août 2025 a surpris : le tirage, initialement pressenti à Las Vegas, se tiendrait finalement à Washington, au Kennedy Center. Trump lui-même en a fait l’annonce solennelle dans le Bureau ovale, assis aux côtés d’Infantino et brandissant la Coupe du Monde. Dans les semaines qui ont suivi, le président a mené un « tour de chauffe » spectaculaire. Il a nommé Richard Grenell (ancien ambassadeur des États-Unis en Allemagne) président intérimaire du Kennedy Center après avoir limogé ses dirigeants, s’accaparant ainsi ce haut-lieu culturel. En février 2025, le conseil d’administration du Centre a élu Trump à sa tête, lui offrant ainsi un contrôle direct de la salle où se déroulerait le tirage.
Les observateurs américains ont noté que Trump a orchestré cette absorption du Kennedy Center comme une extension de son pouvoir exécutif. D’une part, le lieu prestigieux, autrefois apolitique, devient la caisse de résonance de sa présidence. D’autre part, le transfert du tirage à Washington lui assure un micro ouvert aux millions de téléspectateurs. Comme l’AP l’a relevé, Trump s’est arrangé avec Infantino pour « déplacer » la cérémonie dans sa capitale, alors même que Las Vegas était pressentie.
Ces prémices illustrent une vision très personnelle du Mondial 2026 : sous l’ère Trump, l’événement sportif mondial se double d’un rendez-vous politique. Trump se présente en hôte vedette, faisant du tournoi une tribune pour promouvoir son agenda intérieur et extérieur. Ce basculement « américano-centré » de l’organisation est résumé par les mots du président lui-même : il prédit un « événement probablement le plus grand de l’histoire », laissant entendre que le statut de président des États-Unis lui confère un rôle central dans la compétition.
La remise du Prix de la Paix – une mise en scène politique
Le moment fort de la soirée fut sans doute la création et l’attribution du nouveau « FIFA Peace Prize » à Donald Trump. L’idée de ce trophée, annoncée quelques semaines plus tôt par Infantino, n’émargeait à aucun processus ordinaire de la FIFA Selon des sources, ni le Conseil de la FIFA (37 membres) ni son Congrès (211 membres) n’ont été consultés ni voté la mise en place de cette distinction. Le prix a donc été conçu dans un « cercle restreint » de l’organisation, sans critère ouvert ni sélection transparente Dès son annonce, certains journalistes notaient qu’il ressemblait fort à un « trophée de participation » destiné par avance au président américain, lequel espérait depuis longtemps un prix Nobel de la paix.
Les réactions ont rapidement tourné à la dérision. The Guardian a relevé que la FIFA n’avait pas publié de critères de sélection et que le processus restait voilé, évoquant la création discrète d’un comité « responsabilité sociale » censé encadrer l’attribution future du prix Des commentateurs ont fustigé l’hypocrisie de la démarche : Al Jazeera a cité des critiques qualifiant l’opération de « vulgaire » et notant, après une frappe militaire américaine controversée dans les Caraïbes, qu’il était « honteux » d’accorder un prix de la paix. Vanity Fair moque le spectacle en parlant d’une campagne de flatterie d’Infantino « digne de la Rome antique » et souligne que certains à la FIFA s’inquiètent désormais de ce qu’il a « trop choyé » Trump, au risque de mettre en péril la coopération tripartite requise pour le Mondial.
Au final, la cérémonie ressemblait à un moment de propagande politique. Les observateurs ont comparé cette autocélébration à un remake d’Olympiades totalitaires où le sportif devient prétexte à la glorification du chef de l’États. Comme l’a résumé la chroniqueuse Ann Killion (San Francisco Chronicle), le tirage s’est transformé en « infomercial de dix minutes pour la grandeur de Trump », avec un « Peace Prize » inventé de toutes pièces.
La Coupe du Monde prise dans la tourmente politique
L’entourage de Trump n’a pas limité sa stratégie au seul décor. La présidence américaine a inscrit ses priorités politiques dans l’agenda du Mondial. Le « travel ban » existant n’a pas été adouci : au contraire, en décembre 2025 les États-Unis ont gelé les dossiers d’immigration de 19 pays, incluant Haïti et l’Iran, au motif de « sûreté nationale ». Autrement dit, des supporters haïtiens, dont l’équipe nationale jouera au Mondial pour la première fois depuis 50 ans, risquent de se voir refuser l’entrée. De fait, l’Iran – qualifié pour 2022 et encore en lice pour 2026 – a officiellement boycotté le tirage au sort après que Washington a refusé des visas à plusieurs officiels de sa délégation. Les experts notent que ces mesures s’appliquent aux équipes et à leurs fans : même si la compétition se joue sur trois pays, la politique d’immigration américaine pourrait priver certains pays qualifiés de supporters légitimes.
Sur le plan interne, Trump a publiquement menacé de retirer des matches de villes démocrates. Sa conseillère Monica Crowley a admis discuter avec la FIFA de déplacer les rencontres hors des « blue cities » à fort taux de criminalité supposé. Près de la moitié des onze villes-hôtes américaines (Atlanta, Boston, Seattle, SF, Philadelphie…) sont gouvernées par des élus démocrates. Implicitement, Trump utilise le Mondial comme levier de pression politique contre ses adversaires locaux.
Cette politisation à outrance a suscité des remous. Des manifestations ont eu lieu autour du Kennedy Center pour dénoncer « les affaires douteuses » entre la FIFA et l’administration Trump. Des ONG de défense des droits (Human Rights Watch, Sport & Rights Alliance) ont insisté pour que la FIFA exige des États-Unis des garanties sur le respect des droits des visiteurs. Elles ont averti que les politiques anti-immigrés de Washington « menaçaient l’intégrité » du tournoi. Même au sein du monde sportif, certains s’inquiètent. Le vice-président américain JD Vance a déconseillé aux fans étrangers de rester trop longtemps après le tournoi, soulignant les tensions du moment.
Enfin, l’argument électoral est omniprésent. Avec un coup d’envoi prévu l’été 2026, le Mondial se déroulera en pleine campagne des midterms américaines. Trump lui-même espère que le spectacle servira sa cause : près des deux tiers des villes-hôtes du Mondial sont des bastions démocrates, autant de stages potentiels pour mettre en valeur son « America First » et mobiliser sa base. Toutefois, ce double usage sportif-étatique peut se retourner contre lui. Les commentateurs rappellent que le football possède sa propre dynamique imprévisible. Comme le souligne un chroniqueur, on pourrait mourir de « cringe » devant ces mises en scène excessives, mais le tournoi pourrait surtout révéler des impondérables – sportifs, diplomatiques ou populaires – échappant à tout contrôle présidentiel.
La cérémonie de Washington — théâtre du tirage au sort et du « Peace Prize » pour Trump — illustre un projet politique clairement assumé : faire du Mondial 2026 un « événement Trump », à vocation propagandiste. En mettant en scène son président comme un acteur mondial de la paix, Infantino et Trump ont cherché à subordonner l’organisation sportive à des objectifs diplomatiques et intérieurs. Cette instrumentalisation remet en cause le principe de neutralité revendiqué par la FIFA. Elle pourrait renforcer l’image d’un « Mondial des puissants » plutôt que des nations, tout en risquant un effet boomerang.
Car le sport garde son imprévu et son universalité : défaillance d’équipe, incidents de stade ou recul d’opinion publique peuvent ruiner le scénario. Plusieurs observateurs estiment qu’un tel excès de politisation pourrait aliéner les supporters et ternir l’image internationale des États-Unis – exactement l’inverse du message recherché. Comme l’écrit Vanity Fair, au lieu de saluer la gloire de Trump, la FIFA pourrait voir son propre prestige entaché. Au final, même si l’événement a été « pensé pour magnifier Trump » comme un autocrate moderne, il n’est pas sûr que cette démonstration d’autorité façonne l’opinion mondiale comme espéré.